Exercer à Mayotte
Beaucoup de personnes m’ont demandé, à juste titre, un article concernant mon travail aux urgences du Centre Hospitalier de Mamoudzou : Le CHM. N’étant sur l’ile que depuis 8 semaines, je n’ai pas la prétention de vous faire un rapport précis de la situation sanitaire de Mayotte. Je n’en ai absolument pas la légitimité. Je peux par contre essayer de vous retranscrire mon ressenti à mi-parcours de mon contrat. Pardon pour les quelques détails techniques, mais les médecins qui me liront y seront peut être sensibles.
Vous trouverez malheureusement peu de photos sur cet article. Il n’est pas évident de prendre des photos dans un lieu de soins et de secret médical.
L’hôpital
Je travaille donc depuis début octobre aux urgences du C.H.M. Il s’agit pour faire simple du seul hôpital de l’ile. Il est surtout connu jusqu’en métropole pour être la plus grande maternité de France en termes de nombres d’accouchements : 30 naissances quotidiennes. c’est-à-dire l’équivalent d’une nouvelle classe à créer tous les jours !
L’hôpital comprend par ailleurs des services d’hospitalisation de médecine et de chirurgie, de la pédiatrie, des blocs, un service de réanimation polyvalente et de réanimation de néo-natologie. En termes d’imagerie, on trouve un IRM et un TDM fonctionnant plus de la moitié du temps avec des interprétations en télémédecine depuis Lyon. Cela marche plutôt très bien. Sauf, quand les machines sont défectueuses : à mon arrivée, l’injecteur du TDM est tombé en panne pendant 15j… Les manips radio poussaient le produit de contraste à la main… et au même moment l’IRM était en maintenance… La prise en charge des urgences neuro-vasculaire étaient alors un peu « magnégné ». Un terme qui signifie «avec les moyens du bord » / « bricolage ».
Il n’y a ni plateau de radiologie interventionnel (pas de coronarographie, pas d’embolisation…) ni chirurgie spécialisée. Les avis des spécialistes sont limités par le va et vient des contrats d’interim (par exemple, pas toujours de gastro…) Si nécessaire, les patients sont alors évacués vers notre CHU de référence, à savoir la Réunion. 1H30 de vol.
Les locaux sont dans l’ensemble assez propres dont la majorité à moins de 10 ans.
Qui soigne-t-on ?
Les 270 000 personnes qui sont recensées sur l’ile en 2019 dont 50% sont en situation irrégulière. 40% des Mahorais habitent dans un logement en tôle et 30% n’ont pas accès à l’eau potable. A cela s’ajoute le flux de Comoriens venant bénéficier de soins d’urgences en France. La première ile des Comores est en effet à 80 km. Là-bas, l’offre de soin est quasi inexistante et payante… Alors les gens traversent avec des bateaux de pêcheur pour pouvoir accès aux soins sur le territoire français : les kwassas-kwassas. Les gens débarquent pour la plupart dans des états pas possible… Fracas osseux remontant à plusieurs jours, infections… et également des pathologies évolutives sans motifs d’urgence qui ne peuvent pas bénéficier d’explorations / soins adéquats aux Comores mais pour lequel on ne peut malheureusement pas faire grand choses de plus aux urgences…
Les adultes présentent pour beaucoup des maladies chroniques déséquilibrées du fait de problématiques financières et culturelles. Ici, tant qu’on a pas mal, on n’est pas malade. Oui, mais le diabète tue sans faire mal. L’hypertension artérielle tue sans faire mal. Et les médicaments sont à prendre tous les jours…
Beaucoup d’enfants bien sûr ! Ils sont magnifiques ! Dans des fratries de 5 à 10 enfants (et plus !) les enfants marchent bien avant 10 mois et sont –surveillés ?!- pas les frères et sœurs. C’est une sacrée ambiance sur l’ile d’ailleurs. Il y a des enfants partout. Ça rigole, ça pleure, ça court et ça babille à chaque coin de rue. Quand on met Sara à la sieste, on ne sait pas trop d’où cela pleure ! Chez nous ? Dans la famille de ce côté ? De l’autre côté ?
Bref, Les accidents sont légions : chutes, enfant renversés par la voiture car le petit jouait dans la rue, brûlures… et j’en passe !
A cela s’ajoutent chez tout le monde les maladies bénignes que l’on trouve partout : le rhume est universel ! Sont aussi monnaies courantes les pathologies tropicales et de précarité : dingue, leptospirose, hépatites, tuberculose, VIH…
Bon il y a de quoi s’occuper !!! Les gens sont malades, les enfants surtout à vrai dire.
Le réseau de soin
Pour ce qui relève du soin hospitalier, on se dépatouille avec les places, quasi inexistantes. Pour cela rien à envier à la métropole ! Beaucoup de choses sont donc gérées en ambulatoire. Bien plus que ce que l’on ferait en métropole d’ailleurs. Les gens sont renvoyés vers les dispensaires. En effet, sur l’ile peu ou pas de médecin généraliste installés en cabinet. Le réseau de soins ambulatoire s’articule autour des dispensaires. Là bas, les patients peuvent bénéficier de consultations médicales ou paramédicales pour des prises de sang (les tubes sont envoyés à Mamoudzou), pansements… Les plus gros possèdent même l’équivalent de « maison de naissance ». Les femmes y accouchent non médicalisées. Il n’y a pas de gynécologue de garde ou d’astreinte, juste des sages-femmes. Les consultations sont limitées par jour par un système de tickets. Les patients attendent souvent dès 3-4h du matin pour pouvoir avoir accès aux soins… On est en France, ou presque… Cela fait réfléchir.
Pour la correspondance entre les différents intervenants de santé, le « carnetti ». C’est tout simplement un carnet de santé. Au début c’est un peu déstabilisant de chercher les infos parfois entre 2 hiéroglyphes dans un carnet souvent en voie de décomposition. Mais franchement cela marche super bien. Cela fait réfléchir aux problématiques de dossier médical. 40 ans qu’on essaye de faire un dossier médical informatisé. Ici un petit carnet et tout y est…
Et moi dans tout cela ?
Je fais partis d’une équipe constitué d’environ 30 urgentistes. Plus de 50% sont dans le même cas de figure : des intérimaires pour des périodes de 1 à 3 mois environ. Beaucoup s’attachent aux lieux et y reviennent très régulièrement. Passé une phase d’adaptation un peu dur, c’est vrai qu’on prend plaisir à exercer dans cette chouette équipe. A faire de son mieux avec les moyens du bord. Refaire de la pédiatrie c’est chouette aussi.
Cela n’est pour autant jamais facile au quotidien. Peut-être le plus usant reste la barrière de la langue et culturelle. J’ai bien appris un peu de shimahorais mais c’est bien insuffisant pour faire une consultation seule ! Je dépends toujours de quelqu’un pour faire la traduction. La fatigue des gardes cumulées commencent aussi à se faire ressentir. Il y a comme partout les jours de ras-le bol, mais je suis contente de cette expérience. Je prends aussi la mesure de la chance d’exercer un métier qui me passionne, et qui offre une facilité incroyable d’emploi et de mobilité.
Voilà pour un petit aperçu de ce qui m’occupe à Mayotte. C’est succinct. Les problématiques de soins sont complexes mais passionnantes dans ce territoire français ! On oublie justement parfois que Mayotte, c’est en France. Je suis volontairement restée floue sur les problématiques économiques d’accès aux soins car je les maitrises mal (qui paye quoi ? et comment ?). C’est aussi une chance de pouvoir se dire que je peux soigner, aux urgences, de la même façon quelques soit la nationalité et la couverture sociale. Bref, être en adéquation avec le serment que j’ai prononcé il y a 3 ans.
C’est une expérience très enrichissante de laquelle on ressort rempli d’humilité. Bravo à toi Anaelle !
Merci pour ce compte rendu très intéressant qui complète mes infos car on a une famille comorienne à l’école qui a fui une situation de misère. Bisous
Très intéressant de voir le quotidien de l hopital et ses problématiques de personnel qui tourne, du manque de certains spécialistes, de locaux récents mais trop petits. Y a t il un manque de médicaments?. Merci pour ce résumé qui m a bien intéressé. Annie
Super intéressant. Pas la même chose à Madagascar avec 80% de personnes avec moins de 1 dollar par jour. Le médecin est très cher (60000 ariary soit 15 euros) et les gens vont se soigner au tout dernier moment (notre guide à déjà vu des gens morts en route)… Voir aussi rapport Unicef. Bises
Merci, j’aime beaucoup ton « reportage » à la fois modeste et plein d’humanité! Il me rappelle bien des souvenirs du Mexique et d’Argentine même si, comme tu le dis, Mayotte, c’est la France.
Bises à vous trois